M. Youssef Amrani accorde un entretien au quotidien Le Matin - Youssef AmraniYoussef Amrani

M. Youssef Amrani accorde un entretien au quotidien Le Matin

LE MATIN : On assiste depuis quelques semaines à une multiplication des visites au Maghreb, en Afrique, en Europe, aux Nations unies, multiplication aussi des contacts et réactivation de la politique étrangère du Maroc : s’agit-il d’activisme, de stratégie d’influence ou de nouveau positionnement dans un contexte nouveau ?

Youssef Amrani : La diplomatie marocaine est active.Elle a toujours connu un dynamisme soutenu et continu pour veiller à la réalisation des objectifs et des priorités de la politique étrangère du Royaume, conformément aux Hautes orientions royales et aux dispositions de la nouvelle Constitution qui trace les contours d’une politique étrangère en phase avec un Maroc nouveau et avec un environnement international de plus en plus illisible. En dépit de la complexité des enjeux et des contextes, nous sommes restés ouverts et volontaires pour aller toujours de l’avant.

Le Royaume assume pleinement ses responsabilités et ne ménage aucun effort pour promouvoir le dialogue et la paix à travers une approche basée sur le compromis et le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats.

Y a-t-il de nouvelles orientations pour améliorer la capacité d’entraînement de la diplomatie marocaine et pour élargir sa marge de manœuvre ?


Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait tracé le 30 juillet 2009, lors du discours qu’il a prononcé à l’occasion de la fête du Trône, la voie d’une diplomatie performante, proactive et constamment tournée vers l’avenir. Le Souverain avait souligné à l’époque la nécessité de donner une forte impulsion à notre diplomatie, en veillant à ce que la fermeté sur les principes, le pragmatisme dans les approches, l’efficience des moyens d’action et la tangibilité des résultats enregistrés soient ses atouts majeurs. En application donc de cette vision, le Ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC) a dressé une feuille de route pour conforter la position internationale privilégiée du Maroc en faveur d’une diplomatie cohérente, qui s’exprime à travers trois cercles concentriques que sont le voisinage, la solidarité et le partenariat. L’évolution qu’a connue le dossier du Sahara marocain démontre l’importance des efforts déployés par notre diplomatie, car largement confortés par la communauté internationale et par la crédibilité et l’engagement du Maroc à résoudre définitivement ce différend régional. L’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de nos provinces du Sud a engendré un dynamisme reconnu à l’international, grâce justement aux efforts consentis depuis 2006.
S’agissant de l‘Union du Maghreb, le Maroc continuera d’œuvrer en faveur de la construction d’un Maghreb fort des cinq pays qui le composent en s’efforçant d’instaurer un ordre maghrébin nouveau qui serait, comme l’a précisé Sa Majesté le Roi, le 6 novembre dernier, « un véritable moteur de l’unité arabe, un partenaire agissant de la coopération euro-méditerranéenne, un facteur de stabilisation et de sécurisation de la zone sahélo-saharienne, et un acteur structurant de l’intégration africaine ». De même, la diplomatie marocaine restera constamment mobilisée en faveur de la paix au Proche-Orient et la création d’un Etat palestinien viable avec comme capitale la ville sainte Al-Qods. Notre diplomatie ambitionne également de renforcer son partenariat privilégié avec l’UE. La formalisation de notre rapprochement historique avec l’UE en octobre 2008 et la tenue du premier Sommet entre le Maroc et l’UE démontre que la diplomatie marocaine a enregistré des réussites exceptionnelles et positionne le Maroc à l’avant-garde des pays de la région méditerranéenne. Avec le Statut avancé, le Maroc a démontré qu’il est un partenaire crédible, ambitieux et incontournable de l’UE. De même, la diversification du partenariat avec les différentes régions du monde, particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, souligne le renforcement de la présence du Maroc. Quant au volet multilatéral, il demeure également un des objectifs majeurs et prioritaires de la diplomatie marocaine. Aujourd’hui, en siégeant au Conseil de sécurité, le Maroc ne manquera pas de démontrer son engagement en faveur du bien et des intérêts de l’Afrique et du monde arabo-musulman.
Il nous appartient maintenant de bâtir sur nos acquis, de nous adapter à notre contexte pour être en phase avec un environnement changeant. Saad-Eddine El Othmani et l’ensemble du corps diplomatique sont mobilisés dans ce sens et déterminés à mener à bien nos objectifs et décliner les ambitions de notre politique étrangère.

Quelle est la force de son outil et appareil diplomatique en termes de nombre d’ambassades, de consulats de représentation dans les organisations internationales ?

Le Maroc dispose de 90 missions diplomatiques et de 55 consulats à travers le monde. Parallèlement aux actions menées sur le plan bilatéral, les missions du Maroc auprès des Nations unies à New York et Genève, auprès de l’Union européenne à Bruxelles et de l’UNESCO à Paris sont très actives. De simple représentation diplomatique au lendemain de l’indépendance, l’appareil diplomatique marocain s’est progressivement renforcé afin de se donner les moyens de ses ambitions.
C’est dans cette perspective que le MAEC a adopté un plan quadriennal 2009-2012 relatif à la valorisation de ses ressources humaines et financières. Il a procédé à la modernisation de ses outils de gestion et méthodes de management en mettant en place un “Système intégré de gestion», un “Référentiel des emplois et des compétences” et un “Portail interactif des Ressources humaines”. À travers de nouvelles méthodes de travail, dont notamment la Diplomatie par objectifs (DPO), nous avons pu améliorer nos modes opératoires, mais également notre capacité à réagir et à anticiper les évolutions de l’environnement international et régional. Bien que notre diplomatie place la performance au centre de ses priorités, il convient de souligner que la toile diplomatique du Maroc répond également à l’impératif de maintenir et renforcer les liens avec notre communauté à l’étranger, notamment à travers ses nombreux consulats à travers le monde. Sur ce point, l’adoption du nouvel organigramme du Département a permis la mise en place d’un pôle chargé des questions consulaires et sociales afin de garantir une meilleure protection des Marocains résidant à l’Étranger, de leur offrir des prestations consulaires de qualité, et de mener les actions nécessaires auprès des pays d’accueil de nos compatriotes.

On assiste à un décloisonnement des activités de votre département. Quelle organisation avez-vous mise en place pour traiter les nouveaux thèmes comme le réchauffement climatique, les pandémies et les relations avec les autres acteurs de la société civile, du parlement et think tank ?

Nous assistons aujourd’hui à l’émergence de nouvelles thématiques globales, structurantes des relations internationales et régionales (mondialisation économique et financière, terrorisme, migration, criminalité transnationale, réchauffement climatique, etc.). Ces thématiques ont compliqué la compréhension du monde dans lequel nous vivons et ont conduit à une interdépendance multisectorielle entre les Etats. De même l’émergence progressive et constante d’un système politique international multipolaire axé essentiellement sur la concertation (G-20 UPM, 5+5, Europe/Afrique, Chine/Afrique, etc.) et de nouveaux acteurs nous ont imposés au sein du MAEC, une double démarche. Notre département répond à ces nouveaux enjeux, au niveau de la structure par une adaptation et par la refonte de notre organigramme. La restructuration de ce dernier a été repensée de manière à incorporer tous les changements de paramètres survenus aussi bien sur le plan national, régional et international.
Cette mutation a eu pour objectif principal de simplifier et d’harmoniser les structures et de permettre une gestion plus pertinente des thématiques et des ressources. Ainsi, le nouvel organigramme qui vient d’être adopté est mieux outillé pour gérer les profondes mutations survenues sur la scène internationale avec l’émergence des nouvelles puissances, de nouveaux acteurs des relations internationales et de nouvelles questions et menaces globales. Il se décline en plusieurs pôles. Un pôle chargé de coordonner les actions bilatérales, un pôle chargé du suivi des Nations unies, des organisations internationales et de la coopération sectorielle, économique et financière ainsi que des questions globales. La particularité de cette restructuration vise à suivre, avec une plus grande cohérence, les grands enjeux mondiaux (droits de l’Homme, terrorisme, désarmement, questions environnementales et changements climatiques, etc.) qui prennent des dimensions de plus en plus grandes. Un autre pôle est chargé de la promotion des potentialités du Maroc et couvrant l’action culturelle, la promotion économique, la diplomatie publique et les acteurs non étatiques. Ayant pour objectif une communication sous toutes ses formes modernes (médias, presse, documentation, blogs et autres e-médias), la promotion du Maroc et le développement des relations avec les ONG et les think-tanks. Nous avons également le pôle chargé des partenariats régionaux, des organisations transrégionales et des nouvelles formes de coopération birégionale. Sa création est dictée par l’impératif d’adaptation aux nouvelles réalités régionales, telles que la conclusion du « Statut avancé » avec l’UE et la création de l’Union pour la Méditerranée ainsi que l’émergence de nouvelles initiatives de coopération birégionales impliquant le monde arabe et l’Afrique.

Votre département joue-t-il un rôle interministériel ?


La coordination et la concertation interministérielle permettent effectivement d’assurer la cohérence de l’action gouvernementale. Le département des Affaires étrangères et de la coopération, de par la diversité des questions traitées, est particulièrement sensible à cette nécessité, qui est intrinsèque à l’optimisation des résultats recherchés dans le cadre de la promotion et de la défense de nos intérêts.

Qui sont nos diplomates, comment sont-ils recrutés, quelle est leur formation, leurs compétences en terme de leadership et de communication ?


La question des ressources humaines est fondamentale, car, en définitive, une diplomatie efficace repose en grande partie sur la qualité des cadres chargés de la mettre en œuvre. Sur la base de ce constat, une démarche rigoureuse, transparente et sélective dans le choix des diplomates appelés à servir et défendre les intérêts du Maroc a été instaurée par le département. Les cadres du MAEC doivent être titulaires d’une licence pour les secrétaires des Affaires étrangères ou d’un Master pour les conseillers des Affaires étrangères, et ce, dans un domaine d’étude approprié. Pour perfectionner les capacités d’analyse, d’anticipation, d’adaptation, d’initiative et d’innovation du diplomate marocain, le Maroc dispose depuis une année de l’Académie marocaine des études diplomatiques (AMED), principal levier d’une véritable politique de formation des diplomates marocains. Cette nouvelle institution s’appuie sur un benchmark international des meilleures formations diplomatiques en la matière pour répondre de manière optimale aux défis que notre diplomatie devra relever dans l’accomplissement de sa mission.
Outre le volet formation destiné aux nouvelles recrues, l’AMED offre également un volet de formation continue visant à permettre aux diplomates de carrière une mise à niveau régulière et adaptée aux différents profils et besoins. Le curriculum de formation de l’AMED comprend une dizaine de modules qui mettent essentiellement l’accent sur une profonde connaissance du Maroc, sa politique étrangère, les relations internationales, les questions globales, les enjeux stratégiques, les techniques de négociation, la diplomatie économique, l’apprentissage des langues étrangères, etc.
Le MAEC s’est également engagé dans un vaste chantier de rajeunissement de son directoire au Service central et au sein de ses Missions à l’étranger ainsi que l’intégration de l’approche genre dans la nomination aux postes de responsabilité.
La dernière réforme de la diplomatie américaine, la Révision quadriennale de la diplomatie et du développement (QDDR), présentée récemment par Mme Clinton, a pour but de rendre les diplomates plus agiles, plus efficaces et plus responsables en les impliquant dans des domaines aussi variés : la sécurité alimentaire, la santé, le climat, le développement durable, la démocratie, l’aide humanitaire et les femmes.

Avec la mondialisation, le métier de diplomate change, nous le constatons aussi en Europe. Qu’en est-il de cette évolution du métier de diplomate notamment dans le domaine del’économie ?


Nous déployons des efforts permanents, en accord avec les différents départements concernés, pour accompagner la réalisation des stratégies sectorielles du Maroc, plan Azur, plan Maroc Vert, Émergence II, Numeric 2013… ainsi que pour contribuer au développement des Métiers mondiaux du Maroc (MMM), tels que l’aéronautique, l’offshoring, l’automobile, l’électronique, etc.
Pour dynamiser la diplomatie économique du pays, plusieurs actions ont été mises en place, notamment, le développement d’un réseau étoffé de structures économiques dans les ambassades et les consulats. Ce réseau apporte son soutien aux missions commerciales marocaines à l’étranger, son concours à la préparation pour la coordination des diverses manifestations économiques et commerciales dont l’objectif reste l’accompagnement des opérateurs dans leur quête de nouveaux marchés et de nouveaux partenaires. L’action du ministère se déploie également sur plusieurs plateformes géographiques et sectorielles à travers de nombreuses initiatives (salons internationaux, forums spécialisés, roadshows, visites de délégations…). L’objectif principal est de rester activement engagé pour renforcer le positionnement stratégique et compétitif du produit Maroc à l’étranger. Bien entendu, nous demeurons engagés au service de l’entreprise marocaine pour l’accompagner dans la prospection des marchés, saisir de nouvelles opportunités qui lui procurent des avantages sur le marché et lui permettent d’atteindre un positionnement compétitif sur le plan régional et mondial.

Informer le gouvernement, négocier, défendre les intérêts du Maroc c’est ce que l’on demande aux diplomates. De l’autre côté, quelles sont les capacités d’écoute du ministère ? Comment se font les remontées du terrain, y a-t-il des conférences annuelles qui réunissent les ambassadeurs pour faire le point ?


Ce département, en tant que relais entre les acteurs étrangers et les acteurs marocains, est à l’écoute de tous les acteurs (nationaux et internationaux) afin de développer les intérêts mutuels, et ce, bien évidemment dans le respect des fondamentaux de la politique étrangère de notre pays. Il apporte un appui et donne une plus grande visibilité aux initiatives des autres départements lorsqu’il est sollicité. La capacité d’écoute du ministère lui permet une certaine réactivité par rapport aux exigences du pays, mais aussi par rapport à un besoin d’adaptation à une conjoncture internationale aujourd’hui difficile, notamment dans un contexte de mondialisation, ainsi qu’aux différents enjeux nationaux et internationaux. Aussi, il est à souligner que les rencontres, les réunions et séminaires avec les ambassadeurs de Sa Majesté le Roi ainsi que les consuls généraux se font de manière régulière et périodique. C’est d’ailleurs dans cette optique que nous avons organisé dernièrement un brainstorming qui s’inscrira dans la durée de manière systématique avec un échantillon représentatif de diplomates marocains pour créer un cadre d’échanges ouvert et amical qui permet de renforcer l’esprit d’appropriation commune.

On parle beaucoup de guerres d’influence et pour nombre de stratèges, la véritable puissance se détermine aujourd’hui en politique d’influence notamment dans le domaine culturel. Plusieurs centres culturels du Maroc ont été inaugurés récemment à Montréal, Mantes-la-Jolie, Tunis… Qui fait quoi dans ces centres ? Quel partenariat avec le ministère de la Culture ?


Effectivement, de nombreux centres culturels sont soit inaugurés, soit en cours de construction. Certains sont gérés en partenariat avec les pays d’accueil, d’autres directement par le Maroc. Ces centres ont une double vocation : répondre d’une part aux demandes et attentes des Marocains de l’étranger, notamment en matière culturelle et plus particulièrement dans certains cas en termes d’enseignement de la langue arabe, mais aussi une vocation universelle d’ouverture et de découverte du Maroc aux populations vivant dans les pays d’accueil.

Peut-on aujourd’hui améliorer l’efficacité de la politique étrangère du Maroc à l’heure des structures internationales qui finalement ne laissent que peu de marges de manœuvre ?


Une diplomatie ambitieuse doit toujours chercher à se perfectionner et à s’adapter aux nouvelles mutations. Ceci étant, je ne partage pas votre analyse voulant que les structures internationales ne laissent que peu de marges de manœuvre à l’action diplomatique. Les structures internationales sont par vocation des lieux de dialogue et de compromis. Certes l’exercice est parfois difficile, car il n’est pas aisé de rapprocher des intérêts divergents, voir, parfois, opposés. Ceci étant, il appartient à chaque Etat de défendre et de promouvoir souverainement ses intérêts que ça soit dans le cadre de structures internationales ou en marge de celles-ci. Ces deux approches sont en réalité souvent complémentaires, ce qui laisse une grande marge de manœuvre à l’action proprement diplomatique. Aujourd’hui, le Maroc peut être fier de ses femmes et de ses hommes diplomates qui travaillent avec abnégation, engagement et dévouement, parfois dans des conditions difficiles.

média

 

attachment-1 photo-2b conference-youssef-amrani b-20 img_0051 milan-oct-2015 2016-02-12 - Youssef Amrani, Minister in Charge of Mission at the Royal Cabinet of Morocco gesticulates on the conference "The Challenges for Security Services in of Imported Terrorism in Europe" from the Middle East Peace Forum on the Munich Security Conference in Munich, Germany. Photo: MSC/dedimag/Sebastian Widmann upm 23023365664_05464c6a50_o