«Le développement de nos relations avec l’Afrique : plus qu’un défi, un impératif» - Youssef AmraniYoussef Amrani

«Le développement de nos relations avec l’Afrique : plus qu’un défi, un impératif»

Plus qu’une évidence, l’ancrage du Royaume dans le continent africain est une réalité que l’on mesure au quotidien et qui s’exprime à travers de multiples paramètres politiques, économiques, culturels, historiques et spirituels. Le point avec Youssef Amrani, ministre délégué au ministère des Affaires étrangères.

#

Youssef Amrani : «l’identité africaine du Royaume est faite d’histoire, de géographie, de brassages humains, de valeurs culturelles et de liens spirituels ancestraux.»

 

Le Matin : l’économique, le culturel et le sécuritaire constituent les dimensions importantes de la coopération Sud-Sud. L’Afrique tient une place prépondérante dans l’agenda diplomatique marocain. Un retour aux racines ?
Youssef Amrani : oui, «le Maroc est un arbre qui plonge ses racines en Afrique»… L’identité africaine du Royaume est faite d’histoire, de géographie, de brassages humains, de valeurs culturelles et de liens spirituels ancestraux. Elle n’a cessé d’évoluer et de se diversifier à travers les siècles. Fier de son appartenance géographique au continent africain et de son ouverture manifeste sur le monde occidental, motivée par une position géostratégique avantageuse, le Maroc n’a cessé, depuis l’indépendance, de consolider ses relations séculaires avec les pays africains frères et de mettre en œuvre une politique de solidarité agissante et de partenariat novateur en faveur du développement durable des pays. L’avènement de Sa Majesté le Roi Mohammed VI a été marqué par la continuité des traditions de coopération ainsi que par la volonté renouvelée de consolider et de diversifier les partenariats avec les pays du continent. Les vingt visites officielles effectuées par Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans 13 pays témoignent de cet engagement du Royaume à l’heure où s’impose dans la redéfinition même de la gouvernance mondiale le poids de notre continent dans les enjeux internationaux.

Le Maroc participe à plusieurs projets de développement en Afrique. Ses échanges commerciaux avec l’Afrique subsaharienne témoignent de l’amélioration des relations économiques. Les grands groupes marocains, entreprises publiques et privées, banques, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, etc. sont présents et contribuent au développement des infrastructures. Quelle est votre appréciation sur cette coopération ?


C’est une coopération engagée, agissante et solidaire qui lie le Maroc à plus d’une quarantaine de pays, régie par un cadre juridique comprenant près de cinq cents accords de coopération. Cette coopération, érigée en partenariat Sud-Sud, repose sur certains fondamentaux qui sous-tendent la présence marocaine en Afrique : le soutien au développement durable, la valorisation des compétences humaines et l’implication croissante du secteur privé ainsi que de nouveaux acteurs dans les efforts de transfert de savoir-faire et de partage d’expertise. Le Maroc participe ainsi à plusieurs projets de développement dans les domaines d’électrification, de gestion des ressources en eau et irrigation, d’infrastructures de base, de santé, etc. De même, plusieurs entreprises publiques sont associées à la mise en œuvre de l’action extérieure du Royaume sur le continent. Le Maroc accueille également plus de 8 000 étudiants, dont 6 500 boursiers, issus de 42 pays africains dans ses établissements supérieurs. Le secteur privé marocain a pour sa part grandement et de façon croissante participé à l’effort gouvernemental consistant à mettre en place une coopération agissante et pragmatique.

La montée en puissance dans plus de 25 pays du continent d’entreprises publiques et de grands groupes marocains dans le domaine des services bancaires, du transport aérien, de la formation professionnelle, des télécoms, du BTP, des assurances, de l’exploitation minière, etc., témoigne non seulement d’un engagement réel dans les tissus économiques nationaux, mais procède également d’une conviction : celle que les économies africaines recèlent des potentialités de croissance. Le partenariat bilatéral développé par le Maroc sur son continent est renforcé par des cadres d’action complémentaires, impliquant des acteurs autres que gouvernementaux (élus locaux et parlementaires, société civile) dans un champ d’action de plus en plus large, afin de répondre à une volonté partagée de consolider et diversifier les partenariats construits. Le renforcement du maillage des liens de coopération procède en outre de la volonté du Royaume de mettre en œuvre une vision stratégique rénovée du partenariat Sud-Sud, en conformité avec les mutations et les enjeux de notre continent et s’inscrivant dans une dynamique d’ouverture. La coopération triangulaire, qui consiste à faire partager aux pays partenaires le savoir-faire marocain dans certains domaines grâce au concours de bailleurs de fonds bi ou multilatéraux, représente un mécanisme de coopération novateur et pragmatique. La coopération régionale représente aussi un cadre d’action privilégié par le Maroc en Afrique. L’organisation sous-régionale en Afrique est considérée comme un impératif, un levier déterminant pour l’épanouissement démocratique, l’intégration économique de la région et la pierre angulaire de l’édifice institutionnel du continent. La double appartenance du Maroc à deux communautés économiques régionales, l’UMA et la CEN-SAD (Communauté des États sahélo-sahariens), ainsi que son statut d’observateur auprès de la CEDEAO, représentent à ce titre des vecteurs d’intégration maghrébine, de rapprochement et de développement des pays sahélo-sahariens.

Le Maroc a soutenu et soutient plusieurs initiatives des Nations unies en Afrique, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Sénégal, en Somalie… Un mot sur cette contribution diplomatique.


Le Maroc a pris des initiatives réalistes et concrètes pour le développement, la paix et la stabilité : l’appel lancé en marge de l’assemblée générale de l’ONU en 2010 pour l’organisation d’une rencontre sur les investissements en Afrique, l’organisation en août 2009 de la Conférence ministérielle des États riverains de l’Atlantique, la contribution aux opérations de maintien de la paix sur le continent (République démocratique du Congo et Côte d’Ivoire), aux efforts de médiation (pays du fleuve Mano) ainsi que de reconstruction post-conflit (Sierra Leone) sont autant de concrétisations de l’attachement du Royaume à servir le développement et la paix durables sur le continent.

À l’occasion de plusieurs forums, dont celui du CDS qui a organisé «le Davos africain», vous avez présenté «la stratégie Afrique du Maroc» que vous défendez dans les instances internationales. Pouvez-vous décrypter cette stratégie ?


L’entrée du Maroc depuis le début du mois de janvier 2012 au Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent du continent africain représente une illustration supplémentaire du rôle que s’est assigné le Royaume : défendre et faire valoir les intérêts de son continent d’appartenance. La volonté irréversible de placer son continent en tête des priorités, le choix de diversifier les formats de partenariat, l’ouverture des espaces de coopération investis, l’implication de nouveaux acteurs (secteur privé et acteurs non gouvernementaux), l’introduction de paramètres novateurs (instauration d’un dialogue politique bilatéral et régional) dans la mise en place d’une vision stratégique du Royaume à l’échelle continentale, auront permis d’asseoir une architecture de l’engagement du Maroc en Afrique. Cet engagement a permis aux opérateurs économiques marocains, désormais insérés dans l’action extérieure du pays sur le continent, de concrétiser plusieurs projets d’investissement en Afrique, mais également de «banaliser» l’acte d’entreprendre et d’échanger sur le plan commercial avec les pays partenaires.

Il reste que, malgré les efforts entrepris aussi bien par les pouvoirs publics que le secteur privé, un effort supplémentaire est nécessaire. Il faut en effet donner davantage de visibilité aux différents intervenants, identifier les leviers de croissance des exportations marocaines et définir une approche par blocs régionaux africains. L’amélioration de l’offre logistique, une meilleure maîtrise du risque d’investissement et export en Afrique, l’amélioration des outils financiers et le renforcement des synergies entre différents acteurs économiques et institutionnels marocains opérant en Afrique contribueraient, sans aucun doute, à faciliter l’acte d’entreprendre pour le secteur privé marocain. Une meilleure connaissance et une compétitivité accrue du produit marocain sur le marché subsaharien faciliteraient une plus grande performance des exportations marocaines. Ces dernières demeurent néanmoins pénalisées, du point de vue compétitif, par des déficiences d’infrastructures et de connectivité en Afrique. Enfin, une approche régionale par «blocs» s’impose. La projection, à ce titre, d’intérêts économiques et commerciaux sur la région de l’Union monétaire et économique de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) pourrait être développée dans un premier temps avant d’être dupliquée à d’autres communautés économiques régionales africaines. Cette approche reste en outre tributaire d’une attitude volontariste des opérateurs économiques, s’inscrivant dans une stratégie à long terme de promotion de l’offre et de valorisation de l’expertise marocaines. À notre niveau, l’action extérieure du Maroc en Afrique demeure prioritaire dans l’agenda diplomatique de notre pays.

L’Afrique est aussi en butte à une autre réalité : celle des conflits, des guerres, des risques de sécession… Le Sahel, par exemple, qui s’érige de plus en plus comme une zone de menaces pour la stabilité régionale. Un mot sur la position du Maroc ?


Le Maroc a été le premier pays à alerter aussi bien la communauté internationale que les organisations régionales sur les dangers provenant de la région sahélo-saharienne. En effet, notre double appartenance aux espaces maghrébin et sahélo-saharien fait de nous non seulement un pays naturellement et directement concerné par les menaces émanant de cette région, mais aussi un élément central dans la stabilité et la sécurité du pourtour méditerranéen. L’enchevêtrement des facteurs structurels et conjoncturels comme sources de la dérive observée dans la région, exacerbée par la crise au Mali, renforce davantage notre appui au développement d’une stratégie intégrée, concertée et globale des différents défis posés dans la région du Maghreb et du Sahel. Le contexte régional particulier a contribué au renforcement de notre souscription à l’idée de l’établissement d’une plateforme régionale de nature transrégionale impliquant l’UMA et les pays du Sahel ; une plateforme à même d’apporter des réponses appropriées aux périls multiformes qui menacent aussi bien la stabilité de notre région que celle de la Méditerranée et au-delà. À chaque étape franchie au niveau de la crise malienne, et suite à chacune des décisions prises par la CEDEAO sur le Mali, le Maroc s’est investi pleinement au sein du Conseil de sécurité en tant que porte-parole des pays africains afin de soutenir la République du Mali pour restaurer son intégrité territoriale et sa stabilité politique. Ceci s’est traduit par l’adoption de la résolution 2085 sous présidence marocaine du Conseil de sécurité. Le Royaume, qui entretient avec les pays du Sahel et du Sahara des relations historiques séculaires, défend une approche globale consistant à lutter contre une menace globale.

 

Réalisé par Farida Moha

média

 

attachment-1 photo-2b conference-youssef-amrani b-20 img_0051 milan-oct-2015 2016-02-12 - Youssef Amrani, Minister in Charge of Mission at the Royal Cabinet of Morocco gesticulates on the conference "The Challenges for Security Services in of Imported Terrorism in Europe" from the Middle East Peace Forum on the Munich Security Conference in Munich, Germany. Photo: MSC/dedimag/Sebastian Widmann upm 23023365664_05464c6a50_o