37eme Moussem culturel International d'Assilah - Youssef AmraniYoussef Amrani

37eme Moussem culturel International d’Assilah

Guerres chaudes et nouveau désordre international

Le 37ème Forum international culturel d’Assilah a été l’occasion d’un débat politique intitulé « Le Passé en Avant : Vers une nouvelle deuxième Guerre Froide ? », avec la participation, notamment, de l’ancien Chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos et de l’ancien Ministre sénégalais des Affaires Étrangères, Cheikh Tidiane Gadio.  Au cours de son intervention, Youssef Amrani a estimé que la communauté internationale « doit se refonder et former un front commun pour lutter contre le phénomène du terrorisme (…), mettre fin à l’expansion djihadiste et au radicalisme religieux ». 

C’est avec un réel plaisir que je prends part, aujourd’hui à la 30ème Session de l’Université d’Eté Al Moutamid Ibn Abbad. Je remercie mon cher ami, Mohamed BENAISSA de m’avoir invité à participer à cet événement ;

Je saisis cette occasion pour rendre un hommage appuyé au travail accompli par l’Université d’Eté Al Moutamid Ibn Abbad, ainsi que la Fondation du Forum d’Assilah, qui ne ménage aucun effort pour réunir toutes les conditions propices au développement de cet espace de dialogue interculturel et civilisationnel. Car la culture, comme vous le savez, est aussi un moyen de renforcement du dialogue Nord-Sud et Sud-Sud, à même de permettre de constituer des structures fondamentales, nécessaires à la compréhension des enjeux majeurs du système international d’aujourd’hui ;

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fort bien relevé la situation internationale dans son discours  lors de la Conférence des Ambassadeurs du 30 août 2013 en présentant que « La géopolitique mondiale vit aujourd’hui entre les réminiscences de l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale et les prémices d’un nouvel ordre international qui n’arrive pas encore à s’imposer » ;

En effet, nous ne vivons pas uniquement dans une période multi-crises, mais nous assistons à un véritable désordre mondial à l’origine de défis et d’enjeux inédits (gouvernance mondiale, émergence de nouveaux groupements économiques, défis énergétiques, défis alimentaires…). Comment alors parler d’un nouvel ordre international tandis que le monde est tétanisé par l’émergence de nouveaux acteurs non étatiques, tels que ceux qui prennent en otage la religion de l’Islam  à l’instar de Daesh ? Comment promouvoir des valeurs de paix et de dialogue dans un monde qui ne cesse de régresser?

Aujourd’hui, la communauté internationale doit se refonder et former un front commun pour lutter contre le phénomène du terrorisme, dans le cadre d’une démarche globale et cohérente, qui va au-delà des simples mécanismes sécuritaires, pour mettre fin à l’expansion djihadiste et au radicalisme religieux et qui s’emploierait à déconstruire les discours fondamentalistes porteurs de haine et de violences ;

Je relève également que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas changé sa conception sur la manière de résoudre les conflits internationaux qui sont de plus en plus complexes et difficiles à maitriser. Une situation qui a démontré l’inadaptation d’une organisation imaginée dans les périodes précédentes pour garantir durablement la paix dans le monde. On le voit d’ailleurs avec les divisions au sein du Conseil de Sécurité au sujet de la Syrie, de l’Iran ou encore dans le blocage des négociations israélo-palestiniennes…. ;

Il existe donc un besoin urgent de rendre l’organisation de l’ONU davantage efficace et plus représentative des équilibres mondiaux actuels, car la communauté internationale a besoin d’une organisation mondiale en mesure de traiter avec efficience les questions susceptibles de mettre en péril  la stabilité et la paix dans la région ou dans le reste du monde ;

Dans ce désordre, nous sommes passés selon moi, d’une période qualifiée de « guerre froide » à je pense aujourd’hui, une période où la guerre pourrait être qualifiée de « chaude ». En effet, si dans les années 80, les guerres étaient menées par procuration entre belligérants et étaient clairement définies, nous sommes désormais entrés dans une période caractérisée par de nouvelles menaces, aggravées par les avancées technologiques de pointe (courses aux armements, guerre des drones, NTIC, cybercriminalité, discours de haine, radicalisation religieuse, stigmatisation des minorités, montée des nouveaux groupes non étatiques structurés…) ;

Une période également caractérisée par des transformations majeures dans les formes traditionnelles dans la conception et la conduite de la guerre, telle que la banalisation des guerres civiles qui occupent notre quotidien et qui fait qu’elles sont devenues aujourd’hui une règle dans le recours à la violence ;

Cette nouvelle donne a transformé le monde et notamment notre région, en zone ouverte à des conflits meurtriers : l’année 2014 a été la plus sanglante en Syrie avec plus de 160 000 morts et 9 millions de déplacés. En Libye c’est l’enlisement de la crise polico-sécuritaire qui a eu de graves conséquences sur la dynamique sécuritaire régionale. J’évoquerais également les récents évènements tragiques qui ont eu lieu en Tunisie, au Koweït, en Egypte ou encore au Yémen. Je citerais aussi la situation du Nigéria où l’insurrection du groupe islamiste nigérian Boko Haram et la réponse ferme de l’armée nigériane faisant plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés à l’intérieur du pays ;

Dans ce contexte perturbé, le Maroc, sous la conduite avisée de Sa Majesté, s’est tracé un chemin pour davantage de démocratie, d’Etat de droit et de respect des droits de l’homme. A cet égard, après le constat d’échec pour une intégration maghrébine, le souverain a souhaité l’émergence d’un nouvel Ordre Maghrébin, à même de répondre aux aspirations des populations des cinq pays ;

Il n’y a pas un jour où le Maroc n’exprime son engagement pour le renforcement du Grand Maghreb. En effet, le renforcement du Grand Maghreb ne peut que renforcer les acquis, consacrer les intérêts communs et ouvrir la voie au dialogue, tout en mettant à profit les ressources humaines et naturelles dont dispose notre région ;

Encore faudrait-il que notre voisin, l’Algérie, s’engage de bonne foi aux côtés du Maroc, pour l’émergence d’une relation forte avec ce pays, basée sur le bon voisinage et le respect mutuel, pour la construction d’un espace de paix et de prospérité partagée en Méditerranée et ainsi garantir la stabilisation et la sécurisation du Maghreb et de la zone sahélo-saharienne ;

Je pense que l’ensemble des pays maghrébins ont aujourd’hui conscience des capacités prometteuses dont nous disposons et qui nous permettront de devenir, ensemble, un acteur de poids sur la scène internationale. Mais pour cela, il nous incombe à nous, pays du Sud, de nous donner les moyens, en faisant d’abord notre propre travail en interne, en mobilisant toutes les synergies dans le cadre d’une approche multidimensionnelle, qui s’articulerait autour des trois  dimensions fondamentales à savoir : sécuritaire, économique et humaine ;

Par ailleurs, compte tenu de la fragilité de l’équilibre régional, il est à relever la faiblesse de l’engagement européen vis-à-vis de son voisinage Sud. Certes, l’Union Européenne au-delà de la crise économique et financière, est aujourd’hui animée par des dynamiques pas toujours synchrones et des intérêts qui ne convergent plus, liés à l’absence de leadership européen, à des divisions politiques internes et à des faiblesses structurelles. La crise financière et les choix politiques et économiques drastiques qu’imposent  l’Union maintenant à ses états membres pour y remédier, l’entraînent désormais inévitablement dans une spirale descendante. On le voit d’ailleurs avec la crise des dettes de la Grèce et l’échec des négociations avec ses créanciers (pays de la zone euro, FMI, BCE) ;

Avec la déstabilisation de son environnement immédiat, l’Union est amenée à revoir non seulement ses instruments internes, mais également sa politique à l’égard de son voisinage vis-à-vis de l’Afrique du Nord. Autrefois imaginée pour accompagner des pays évoluant dans un environnement politique et social stable, l’Union se retrouve confrontée au défi d’apporter des solutions urgentes à des situations complexes ;

Cependant, les choix stratégiques retenus par l’Union laissent à croire que les partenaires de l’Est sont devenus une priorité pour l’Union Européenne, au détriment de ses partenaires du Sud. Et je ne cesserai de souligner que, malgré un contexte difficile dans certains pays de la rive sud, le Maghreb est aussi un véritable espace de croissance économique et le principal point d’accès de l’Union vers l’Afrique subsaharienne ;

L’Union Européenne doit donc faire un saut qualitatif dans ses relations avec les pays du sud, à travers une adaptation rationnelle et permanente de sa PEV, en la dotant d’instruments parfaitement prévisibles, de gouvernance assurément renouvelés et de moyens à la hauteur des attentes des partenaires ;

La nouvelle conception de la PEV devra également tenir compte des spécificités régionales et des intérêts communs, pouvant mener à  la création d’un espace méditerranéen stable et coopérant, ainsi qu’à une « dynamisation de l’action maghrébine commune » ;

Pour en asseoir durablement la crédibilité, la rénovation de la PEV devra accompagner le développement des « pays-pionniers », qui ont fait le choix de projets de société démocratique et d’un partenariat fort avec l’Europe, à l’image du Maroc. Le Maroc qui, tel que voulu par Sa Majesté le Roi, a traduit concrètement ce choix par la conclusion d’un Statut avancé auprès de l’Union Européenne, qui aspire à une intégration plus vigoureuse des structures politiques, économiques et sociales marocaines à celles de l’UE ;

Enfin, je souhaiterais souligner que le choix irréversible de la démocratie, du pluralisme politique, de l`instauration de l`Etat de droit, du respect des libertés et de l`édification d`une société moderne, a permis au Royaume, au cours de la dernière décennie, de contribuer de manière effective au renforcement de son rayonnement régional et international ;

Car, la vision stratégique et la conception novatrice de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en matière de politique étrangère, plus particulièrement, a permis la consolidation du statut du Royaume sur l’échiquier international en tant que grande Nation ayant toujours défendu les idéaux de dialogue, d’ouverture et de paix, mais aussi en tant qu’acteur écouté, engagé et respecté, notamment dans une conjoncture internationale marquée par des mutations majeures et des crises complexes.

média

 

attachment-1 photo-2b conference-youssef-amrani b-20 img_0051 milan-oct-2015 2016-02-12 - Youssef Amrani, Minister in Charge of Mission at the Royal Cabinet of Morocco gesticulates on the conference "The Challenges for Security Services in of Imported Terrorism in Europe" from the Middle East Peace Forum on the Munich Security Conference in Munich, Germany. Photo: MSC/dedimag/Sebastian Widmann upm 23023365664_05464c6a50_o