« Il y a une nécessité impérieuse de dialoguer davantage avec l’Autre » - Youssef AmraniYoussef Amrani

« Il y a une nécessité impérieuse de dialoguer davantage avec l’Autre »

Les réactions après le film «Innoncence of Muslims» ont été très vives de par le monde. Au même moment, le Maroc et les États-Unis entamaient leur Dialogue stratégique. Youssef Amrani, ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération nous livre son sentiment après son retour de Washington.

hilary-clintonYoussef Amrani en compagnie d’Hillary Clinton sur le tarmac de l’aéroport.

 

De nombreux mouvements de mécontentement se sont répandus dans le Monde arabe, prenant notamment pour cible les Ambassades et consulats des États-Unis, et ce au moment même où le Maroc inaugurait à Washington la mise en œuvre d’un Dialogue stratégique avec les États-Unis. N’y a-t-il pas un paradoxe ? Un déphasage ?
Je n’en vois aucun. Bien au contraire, les derniers événements montrent clairement qu’il y a une nécessité impérieuse de dialoguer davantage avec l’Autre. Le volet inter-religieux représente l’un des éléments importants de ce Dialogue stratégique entre le Maroc et les États-Unis. Ce nouveau cadre de dialogue permettra de collaborer ensemble à la déconstruction des a priori et des préjugés sur les cultures et les identités. Nous pensons que cela contribuera à promouvoir une nouvelle culture basée sur le respect de la diversité, ce qui favorisera l’avènement d’un universel commun à partager. Le vrai dialogue c’est comprendre l’Autre à travers un échange régulier et continu basé sur la reconnaissance de nos différences mutuelles, l’égalité et la dignité. Des initiatives concrètes seront mises en œuvre dans ce sens, dans le cadre de ce nouveau partenariat avec les États-Unis mais également sur le plan international, où le Maroc joue un rôle de premier plan, à travers notamment le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en tant que Commandeur des croyants. Il n’y a pas de choc des civilisations mais un manque patent de communication. Il importe à chacun de s’investir afin de remédier à cette carence anachronique, puisque nous vivons aujourd’hui dans un monde où l’accès à l’information et aux moyens de communication s’est démocratisé et est aujourd’hui à la portée de tous. Chacun peut donc contribuer, à sa mesure, à sa manière, à mettre un terme à l’un des plus grands scandales de ce siècle !

Le Dialogue stratégique serait donc la solution ?
Je crois que toutes les initiatives qui visent à promouvoir le Dialogue entre les religions, les cultures et les civilisations font partie de la solution. Il faut déconstruire les peurs qui s’enracinent dans l’ignorance de l’autre. Être à l’écoute de l’Autre et assainir le regard que nous portons les uns sur les Autres. Il faut sortir de cette spirale de haine, de provocation et d’incompréhension par la communication, le dialogue et ce que j’appellerai la culture de l’empathie.

Que voulez-vous dire par « culture de l’empathie » ?
L’histoire, jusqu’à la plus récente, nous a montré que l’on peut haïr ce que nous tolérons. La tolérance comme elle est utilisée actuellement exprime plutôt de la condescendance alors qu’il faudrait du respect. Ce terme a montré ses limites, on doit faire un peu plus que se tolérer. Il faut passer à une étape supérieure à savoir le respect mutuel, c’est-à-dire œuvrer à une culture de l’empathie et de l’acceptation.

amraniYoussef Amrani sur le plateau de la chaîne américaine d’information en continu CNN.

Comment analysez-vous les récents événements, n’est-il pas trop tard pour cette culture de l’empathie ?
Je dirais au contraire qu’il est plus que temps. J’ai d’ailleurs dit récemment à une journaliste de CNN que le monde semblait être pris en tenaille entre deux types de violence : la violence physique qui ne peut qu’être fermement condamnée, et qui a conduit à l’assassinat ignoble de quatre ressortissants américains, dont l’ambassadeur des États-Unis en Libye, et la violence symbolique, odieuse, qui s’exerce contre des peuples lorsque leur religion, leur culture, ou leur identité sont stigmatisés, déconsidérés voie insultés comme cela a été le cas dernièrement. Ce film ignoble, qui dénote la malveillance et l’intention de susciter la discorde en portant atteinte à l’Islam, une religion basée sur la paix et la quiétude, l’amour et la concorde entre les humains, quelles que soient leurs appartenance et leurs confessions, a entraîné presque inévitablement des réactions émotionnelles. Mais cela n’est pas propre à l’Islam, rappelez-vous la sortie du film les dernières tentations du Christ. J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre les motivations des personnes qui sont à l’origine de telles provocations odieuses, indignes et pour tout dire contraires aux valeurs prônées par toutes les religions. L’obscurantisme est le fait d’une minorité visible sur laquelle on zoome trop pour alimenter des stéréotypes, des clichées réducteurs et des raccourcis simplistes. Aujourd’hui l’image des musulmans en pâtit alors que l’Islam est une religion qui prône le respect et la protection des sacralités, de même que l’instauration de la compréhension entre les humains, contrairement à une certaine image véhiculée à outrance et qui voudrait que l’Islam soit une religion prônant la violence et s’opposant à la modernité.En réalité, les récents événements sont le fruit d’une confrontation entre deux extrémismes, qui tendent à se polariser aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident. De ce point de vue, la conclusion du Dialogue stratégique avec les États-Unis est un message fort puisqu’il montre que deux pays ayant un référentiel religieux et culturel différent peuvent se réunir dans le cadre d’un partenariat basé sur le respect mutuel, des valeurs partagées et des différences assumées. Il n’y a donc pas de fatalité, pas plus qu’il n’y a de choc entre les civilisations. Le Maroc et les États-Unis œuvreront ensemble pour lutter contre toutes les formes d’extrémismes et de violence.

Outre le dialogue inter-religieux, en quoi consistera ce Dialogue stratégique avec les États-Unis ?
La tenue de la première session du Dialogue stratégique entre le Maroc et les États-Unis traduit la concrétisation de la vision de Sa Majesté Mohammed VI, qui avait appelé, lors de sa visite aux États-Unis en juin 2000, à l’établissement d’un climat propice à l’avènement d’un partenariat stratégique et à la mise en place d’un nouveau cadre de coopération en adéquation avec les vastes et profondes mutations géopolitiques. Il est également le fruit d’une amitié séculaire et d’un approfondissement continu des relations entre le Maroc et les États-Unis. Le partenariat stratégique entre le Maroc et les États-Unis est aussi fondé sur des valeurs et principes partagés, tels que l’attachement aux principes démocratiques, aux droits de l’Homme, au libéralisme économique, à la préservation et la promotion de la paix et de la sécurité au niveau international et au développement des sources de croissance et de prospérité partagées.
Ce partenariat marque notre détermination commune à faire évoluer nos relations de façon toujours plus ambitieuse et innovante en élevant et en fortifiant les relations déjà excellentes et mutuellement bénéfiques entre les deux pays à l’étape suivante. Une étape importante que nous avons décidé de prendre ensemble en tant que partenaire. Cette relation d’exception explique qu’aujourd’hui le Maroc soit le premier pays arabe à disposer de ce cadre avancé de dialogue et de coopération avec les États-Unis. Il consacre également un partenariat historique rénové, résolument tourné vers l’avenir, et puisant son dynamisme et sa vigueur dans le présent et dans notre détermination commune à aller de l’avant. Ce nouveau cadre de dialogue et de coopération favorisera un haut degré de dialogue et de coopération entre le Maroc et les États-Unis et permettra d’assurer une continuité dans les relations bilatérales de même qu’une meilleure prise en compte des intérêts communs et des priorités respectives des deux pays partenaires. C’est sur cette base que le Maroc et les États-Unis visent à développer les opportunités d’une coopération plus étroite dans quatre domaines bien définis et étroitement liés : le politique, l’économique, le sécuritaire et les affaires culturelles et éducatives.

Quel sera l’impact de ce nouvel instrument de Dialogue et de coopération sur la question du Sahara ?
Les États-Unis et le Maroc ont convenu de resserrer leur dialogue politique afin de promouvoir une solution politique durable de ce différend, basée sur le réalisme et l’esprit de compromis. La Secrétaire d’État Hillary Clinton a d’ailleurs tenu à souligner que la solution politique de compromis que le Maroc propose avec l’Initiative d’Autonomie est “sérieuse, crédible et réaliste” tout en réitérant que la position des États-Unis concernant la Question Nationale est constante et ce, depuis plusieurs années. En tous les cas, le Maroc demeure entièrement engagé pour travailler de bonne foi avec l’Onu et l’ensemble des parties concernées pour dépasser le statu quo, intenable pour des raisons politiques, économiques et sécuritaires évidentes. Les deux délégations ont par ailleurs convenu de lutter plus efficacement contre les menaces sécuritaires dans la région sahélo-saharienne et d’améliorer les conditions socioéconomiques des populations du Maghreb à travers la mise en œuvre d’initiatives favorisant l’intégration de cet espace et la concrétisation de l’UMA.

Et au niveau économique ?
Le volet économique occupe une place très importante, pour ne pas dire cruciale. Ce sont la pauvreté, l’exclusion et le sentiment d’injustice qui engendrent le fanatisme et la violence et non pas la soit distant nature culturelle et religieuse d’un peuple. Il nous appartient par conséquent de tout mettre en œuvre pour éliminer les racines du désespoir et de la violence par l’éducation, le développement socioéconomique et la poursuite du processus de réformes politiques et économiques. Dans ce cadre nous nous efforcerons d’intensifier les échanges économiques et commerciaux en optimisant l’Accord de libre-échange et en mettant au point de nouveaux instruments destinés à accompagner le Maroc dans l’accomplissement de son ambition économique et sociale. Par ailleurs l’importance de la concrétisation du Partenariat de Deauville et du Partenariat nord l’Africain pour les Opportunités économiques (NAPEO) ont été soulignés comme moyens de renforcer l’ouverture politique et la croissance économique. Les États-Unis ont aussi appuyé l’inclusion du Maroc dans les programmes qui soutiennent les progrès économiques et démocratiques dans la région MENA. Les deux pays ont convenu de coopérer en vue d’un second Compact Millenium Challenge Corporation pour ancrer les engagements des États-Unis à la prospérité du Maroc et de la région.

Saad A.Tazi

média

 

attachment-1 photo-2b conference-youssef-amrani b-20 img_0051 milan-oct-2015 2016-02-12 - Youssef Amrani, Minister in Charge of Mission at the Royal Cabinet of Morocco gesticulates on the conference "The Challenges for Security Services in of Imported Terrorism in Europe" from the Middle East Peace Forum on the Munich Security Conference in Munich, Germany. Photo: MSC/dedimag/Sebastian Widmann upm 23023365664_05464c6a50_o